Il y a quelques années de ça, j’avais pris rendez-vous dans une librairie marseillaise pour y faire un dépôt de Provence(s), le second opus de mes jeunes éditions. La libraire qui me reçût examina l’ouvrage avec une froideur dédaigneuse, alors même que je lui expliquai le projet et le contenu de ce livre. Puis, jugeant qu’il n’entrait pas dans les standards de l’édition professionnelle, elle refusa de mettre en rayon les exemplaires que j’avais pourtant amenés à sa demande.
Passé un premier mouvement de dépit et de colère, je repensai à ce refus et à sa signification profonde. Il me semblait – et me semble toujours – traduire un conformisme sûr de ses choix et de ses valeurs, fermé à toute initiative qui ne se coule pas dans un moule pré-formaté. A cette libraire revêche et à tous ceux qui lui ressemblent, je voudrais dire aujourd’hui qu’il en va des livres comme des hommes. Il y en a des grands et des petits, des gros et des maigres, des moches et des beaux. Mais tous, cependant, appartiennent à la même humanité et se doivent d’y trouver justement leur place, sans exclusion ni ségrégation. Je pèche peut-être par idéalisme mais une chose m’est certaine : la manière dont on traite les livres annonce celle dont on traitera les hommes, pour peu que les circonstances s’y prêtent. Et – l’histoire récente en témoigne - cela peut être effroyable.
Jacques LUCCHESI