Ecrivain discret, Jean Bensimon n’en est pas moins l’auteur d’une œuvre importante parmi laquelle on dénombre cinq recueils de nouvelles parus aux éditions l’Harmattan. Son dernier
ouvrage en date, « Chroniques de l’entre-mondes » (éditions Ovadia, 2010) confirme, si besoin était, l’étendue de ses dons de nouvelliste. Chacune des quatorze fictions de ce recueil explore,
souvent sur le mode de la fable, les sortilèges de la mémoire, états d’être intermédiaires où se noue parfois un destin. Il faut lire, en particulier, «Archives » dont il donne ici une incise.
J. L.
Pourquoi écrire… alors qu’il y a tellement de choses plus « naturelles » et plus gratifiantes à faire ? C’est la question que des amis, surpris
par le temps que je consacre à cette activité et mon acharnement, me posent parfois, sans aucune acrimonie. Il faut préciser que je suis à la lettre l’injonction remontant à plus de deux mille
ans : Nulla dies sine linea !
Évoquer des dons, voire une prédestination, serait dans mon cas inexact. Les Anciens et les poètes de la Pléiade invoquaient « la divine ardeur
» : ils ne se mouchaient pas du pied !
Il me semble écrire tout simplement afin de tenter de résoudre des problèmes existentiels auxquels je n’ai pu, à ce jour, apporter directement
de solution. Un seul exemple. Il m’est souvent arrivé de rédiger un journal intime, ce de manière développée et avec un souci du détail, me demandant si je n’ai rien oublié, y revenant pour
ajouter quelque chose. Surtout ne rien perdre ! Mais en même temps un tel comportement m’irrite et m’inquiète : cette activité risque d’empiéter d’une part sur l’écriture dont elle devient
peut-être le succédané ─ reculer pour mieux sauter ─, d’autre part sur mes relations avec autrui. Le diariste a une pente qui le conduit au narcissisme, or si on perd le sens de l’altérité
reste-t-on encore tout à fait un humain ? À la limite et plus largement, écrire n’empêche-t-il pas de vivre ?...
… Longtemps le dilemme m’a tourmenté, obsédé. Pour finalement me conduire à écrire une nouvelle, « Archives », qui figure dans mes Chroniques
de l’entre-mondes. De fait, c’est un conte allégorique. Le protagoniste, Nicolas, s’adonne à la passion du diarisme, il dispose de son passé en son intégralité puisqu’une quarantaine d’ânes bâtés
conduits par l’Archiviste et transportant tous ses journaux intimes l’accompagnent continuellement dans le voyage de la vie. Mais un accident soudain lui fait perdre tous ses ânes avec le contenu
des bâts et même l’ânier… Bien entendu, je ne vous raconterai pas ici ce qu’il advient de mon héros.
Jean BENSIMON